Défendre l’intermittence du spectacle
Voici la reproduction intégrale de l’article tel qu’il a paru dans la version électronique du journal LE MONDE le 28 février 2013.
La performance a eu lieu, mardi 26 février, dans une salle de réunion de l’Assemblée nationale, au 101, rue de l’Université, à Paris. Aurélie Filippetti et Michel Sapin avaient rendez-vous avec les députés de la mission d’information sur les conditions d’emploi dans les métiers artistiques, pour répondre à leurs questions et évoquer les gros chantiers, comme le projet de loi d’orientation sur le spectacle vivant ou la réforme de l’assurance-chômage des artistes et des techniciens du spectacle.
La ministre de la culture et de la communication et son homologue au ministère du travail, de l’emploi et du dialogue social se sont longuement attardés sur ce dernier dossier. L’une et l’autre se sont livrés à un numéro de duettiste : c’était à qui défendrait le mieux les annexes VIII (techniciens) et X (artistes) de l’Unedic, une nouvelle fois montrées du doigt dans le dernier rapport de la Cour des comptes, publié le 22 janvier, puis dans quelques reportages télévisés.
Les artistes doivent réaliser 507 heures en 10 mois et demi.
En cause, le déficit de ces annexes qui s’élève à un milliard d’euros – un niveau stable depuis dix ans. A cet égard, un chiffre providentiel est venu bousculer les cartes, que les deux ministres et leur entourage ne se sont pas privés de brandir : selon un calcul de l’Unedic, le basculement des annexes VIII et X dans le régime général ne générerait qu’une économie de 300 millions d’euros – mais aboutirait àexclure un certain nombre d’intermittents.
C’était le moment de battre en brèche les idées reçues. Aurélie Filippetti a tenu à« rappeler quelques vérités » : Ce « modèle si souvent envié à l’étranger pour sa modernité », a-t-elle commencé, constitue « une réponse adaptée à la vulnérabilité »de l’activité artistique – les périodes de chômage succédant à des contrats de travail plus ou moins longs, plus ou moins bien rémunérés.
Rappelons que les artistes doivent réaliser 507 heures en 10,50 mois, et les techniciens 507 heures en 10 mois, pour pouvoir bénéficier de l’assurance-chômage – les artistes étant globalement dans une situation plus fragile que les techniciens.
Au total, selon les années, ils sont environ 100 000 à bénéficier de ce dispositif. Bien sûr, « il faut lutter contre les abus », a convenu la ministre, mais « ces métiers doivent bénéficier de la solidarité interprofessionnelle », et les annexes VIII et X sont là pour « répondre à des situations particulières ». Les « matermittentes » n’ont pas été oubliées, qui se battent pour préserver leurs indemnités pendant les congés maternité.
Pas lieu de dramatiser
A son tour, Michel Sapin a pris la parole pour « soutenir » ce qui venait d’être dit, en apportant quelques nuances. La situation financière du régime ? « Il n’y a pas lieu de la dramatiser. L’assurance-chômage, dans son ensemble, est l’amortisseur social le plus efficace en cas de crise. Il serait absolument dommageable de vouloir redresser brutalement les comptes de l’Unedic quand on a plus de trois millions de chômeurs. »
Le ministre est allé plus loin : selon lui, il y a « une forme d’incompréhension » sur le fonctionnement de l’assurance-chômage : l’Unedic ne dispose que d’une caisse, les cotisations des uns permettant de payer les prestations des autres. « Il est logique que ceux qui prennent le plus de risques soient les mieux protégés. »
Il n’y a pas lieu de saucissonner et d’« identifier une catégorie de bénéficiaires » : ce serait aussi absurde, a-t-il dit, que de calculer le rapport entre les dépenses et les recettes pour les salariés en CDD, lequel afficherait alors « un déficit de 5 milliards d’euros ».
Sur ce point précis, c’est exactement ce que dit, en substance, l’acteur et militant de la Coordination des intermittents, Samuel Churin, dans les deux vidéosintitulées Ripostes 1 et Ripostes 2, réalisées dans l’esprit des ciné-tracts (Cip-idf.org).
L’intervention des deux ministres apporte de l’eau à leur moulin, même si, au final, ce sont les partenaires sociaux qui auront la main et renégocieront le régime de l’assurance-chômage, fin 2013. Mais, peu importe, le duo du 26 février fera date.
Par Clarisse Fabre.